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CHRONOLOGIE
des lettres de Freud à Fliess
Sigmund Freud et Wilhelm Fliess
1887/1904 - Correspondance de 284 lettres écrites par Sigmund Freud à Wilhelm Fliess
Toutes les lettres que Wilhelm Fliess a écrites à Sigmund Freud à cette époque ont été détruites par Sigmund Freud lui-même.
Le 17 décembre 1928, Freud écrivit à Ida Fliess, la veuve de Wilhelm, une réponse à la demande qu’elle lui avait adressée concernant les propres lettres de son mari à son ami.
« Ma mémoire me dit que j’ai détruit la plus grande partie de notre correspondance à une certaine époque, après 1904. Mais il n’est pas exclu que certaines de ces lettres après des recherches méthodiques aient été conservée et réapparaissent après des recherches effectuées dans la pièce où j’ai vécu ces trente-sept dernières années. Je vous prie de me laisser un peu de temps, jusqu’à Noël. Tout ce que je trouverai sera à votre disposition sans conditions. Si je ne retrouve rien, il faudra accepter que rien n’a échappé à la destruction. Naturellement, je serais heureux de savoir que les lettres que j’ai écrites à votre mari qui fut, pendant tant d’années, mon ami le plus proche, auront la bonne fortune d’être entre vos mains, ce qui leur assurera une protection contre toute utilisation à venir. Je reste sincèrement votre. »
Lettre manuscrite authentique conservée à la Bibliothèque de la Hebrew University à Jérusalem.
1950 - Publications en 1950 de 168 lettres sur 284 en anglais sous le titre :
THE ORIGINS OF PSYCHOANALYSIS : LETTERS TO WILHELM FLIESS, DRAFT AND NOTES : 1887/1902.
(Imago Publishing, London en 1950)
La préparation de cette première édition a été menée à bien par Marie Bonaparte, Anna Freud et Ernst Kris qui ont assumé le choix des lettres conservées et le caviardage de certaines.
1950 - Publication en allemand AUS DEN ANFÄNGEN DER PSYCHOANALYSE.
DEPUIS LE DEBUT DE LA PSYCHANALYSE.
1956 – Publication à Paris en français sous le titre
LA NAISSANCE DE LA PSYCHANALYSE
au PUF
six ans plus tard.
1985 - Jeffrey Masson persuade Anna Freud, la fille de Freud de l’autoriser à publier la totalité des lettres de Freud à Fliess.
SIGMUND FREUD, LETTRES À WILHEM FLESS 1887/1904
Éditions en anglais en 1985, Harvard U.S.A, Londres aux Royaumes Unis
Éditions en Allemand en 1986, S. Fischer Verlag GmbH, Frankfurt am Main
SIGMUND FREUD LETTRES À WILHELM FLIESS 1887/1904
Traduction et édition en français se fera à Paris au PUF seulement
VINGT ANS PLUS TARD EN 2006.
1985 - Jeffrey Masson publie en anglais
THE ASSAULT ON TRUTH.
1984 - Publication de la traduction en français à Paris (éditions Aubier) sous le titre :
LE RÉEL ESCAMOTÉ, le renoncement de Freud à la théorie de la séduction.
Tirage limité à 600 exemplaires rapidement épuisé. Les lettres sont introuvables en France à partir de cette date.
2006 – Enfin traduction en français et parution à Paris (au PUF) de la totalité des
LETTRES DE SIGMUND FREUD À WILHELM FLIESS – 1887/1904.
VINGT ANS PLUS TARD que les éditions en allemand en Allemagne et en anglais en Grande-Bretagne et aux U.S.A.
2011/2012 - Premier Film de Michel Meignant :
L’AFFAIRE FREUD.
Documentaire 1h11, Asclépia
qui génère en 2012 une nouvelle traduction en français du livre de Jeffrey Masson :
ENQUÊTE AUX ARCHIVES FREUD, DES ABUS REELS AUX PSEUDO-FANTASMES. Publication à Paris aux éditions l'Instant Présent.
2022 - Deuxième film de Michel Meignant
LA VÉRITÉ SUR FREUD, DES ARCHIVES FREUD A #METOO.
Documentaire 1h28, Asclépia.
Préface
du Docteur Michel Meignant
Comment j’ai découvert Jeffrey Masson
Le livre de Masson, The Assault on Truth publié en 1984, reçut un large accueil dans le monde entier, sauf en France où il fut l’objet d’un véritable rejet. Tiré seulement à quelques centaines d’exemplaires, il est aujourd’hui totalement épuisé. Pour que je réalise l’importance de cet ouvrage, il a fallu que j’entende le psychologue américain Andrew Leeds me déclarer que Sigmund Freud était plus intéressé par sa carrière, sa renommée et l’argent que par la vérité. Devant mon étonnement, il me conseille de lire le livre de Jeffrey Masson « The Assault on Truth ». Je découvre un exemplaire de sa traduction en français, « Le réel escamoté » (c’est le titre que portait ce livre en 1984, éditions Aubier. À l’époque je réalisais un film sur la violence éducative ordinaire « Amour et châtiment » et j’étais très surpris de voir que les psychanalystes refusent souvent de prendre en compte la réalité des traumatismes de l’enfance et de l’adolescence.
En lisant le livre de Masson, je découvre que Freud a d’abord cru à la théorie des traumatismes (théorie de la séduction) et qu’il l’a remplacée par la théorie des pulsions et le complexe d’Œdipe. À cause de la mort de son père et peut-être pour des raisons d’opportunisme professionnel. Quel beau sujet de film ! Je retrouve Jeffrey Masson qui vit en Nouvelle Zélande. Je pars l’interviewer pour le film « L’affaire Freud » (voir www.l-affaire-freud.com) et à mon retour, je recherche un nouvel éditeur pour rééditer le livre de Jeffrey Masson. Le voici, dans une traduction plus vaste : Enquête aux Archives Freud.
Andrew Leeds
Les archives secrète de la psychanalyse
Il est courant de garder secrets des documents dans les domaines militaires ou politiques afin de préserver la sécurité et l’indépendance d’une nation. Mais qui pouvait s’attendre à ce qu’il existe des documents classés « secrets » dans le domaine de la psychanalyse ? Quels secrets s’agit-il de préserver ? Où est le péril ? À qui profite la censure ?
Le secret dont parle ce livre, ce sont les circonstances de la découverte par Freud d’une théorie qui prenait en compte les traumatismes, appelée « théorie de la séduction », et les raisons de son abandon pour la « théorie des pulsions », qui ont fait l’objet d’une tentative de dissimulation. Il est en effet possible de retracer très précisément le déroulement de la mise au point de la théorie de la séduction et son abandon, au profit de la création de la théorie des pulsions, accompagnée de l’invention du complexe d’Œdipe, à travers la correspondance, de la main même de Sigmund Freud, échangée avec Wilhelm Fliess, durant 17 ans, de 1887 à 1902.
Pour garder secret le récit du déroulement de cette élaboration et de cet abandon, il fallait évidemment détruire tous les éléments de correspondance qui pourraient révéler les circonstances détaillées de cette affaire. Cette correspondance était constituée de 284 lettres de Freud à Fliess et probablement autant de Fliess à Freud. Pour préserver le secret, de son côté Freud brûla toutes les lettres qu’il avait reçues de Fliess. Quant aux siennes qui étaient entre les mains d’Ida Fliess, la veuve de son ami, toute sa vie Freud ne put qu’espérer qu’elles ne tomberaient pas en de mauvaises mains.
Le divan
Un incroyable concours de circonstance évente le secret
Un incroyable concours de circonstances évente le secret La vérité a été révélée dans des conditions véritablement romanesques. En effet les lettres de Freud n’ont pas été détruites. Elles se trouvent aujourd’hui préservées dans la « Sigmund Freud Collection » déposées à la Library of Congress à Washington. Quand, après la mort de Wilhelm Fliess, sa veuve Ida Fliess écrit à Freud pour lui demander la restitution des lettres de son mari, celui-ci lui répond donc qu’il les a brûlées. Elle en conclut que les lettres de son mari ne doivent en aucun cas tomber entre les mains de Freud, parce qu’elle imagine qu’il les détruirait. En 1937, Ida Fliess vend ces lettres à Marie Bonaparte, Princesse de Grèce, à l’époque en analyse avec Freud, par l’intermédiaire du libraire viennois Reinhold Stahl. Ida Fliess lui demande de promettre que jamais ces lettres ne tomberont entre les mains de Freud. Les lettres vont alors être l’objet d’incroyables péripéties.
Après avoir refusé de les revendre à Sigmund Freud avec qui elle était en psychanalyse, Marie Bonaparte prend la décision de les déposer, au cours de l’hiver 1937-1938, dans son coffre de la Banque Rothschild à Vienne. Lorsqu’Hitler envahit l’Autriche, cette banque n’est plus un lieu sûr. En utilisant son immunité diplomatique de Princesse de Grèce, Marie Bonaparte arrive à retirer de son coffre ces précieux documents, en présence de la Gestapo. En février 1941, Marie Bonaparte, qui s’est réfugiée à Paris, dépose les documents à la légation du Danemark. À la Libération, elle retrouve les lettres intactes et les emporte à Londres, enveloppées dans du matériel imperméable et flottant, en cas d’un éventuel naufrage lors de la traversée de la Manche. Les lettres seront alors publiées en 1950 dans une version expurgée de tout ce qui a trait à la théorie de la séduction.
Jeffrey Masson a joué un rôle très important dans la révélation de cette affaire de dissimulation. Il s’est transformé en psychanalyste d’investigation, homme courageux et intègre qui va révéler la vérité à ses dépens. Au début il n’imagine pas que ses révélations vont faire scandale. Il pense au contraire que tous les psychanalystes vont être intéressés. Ses confrères ne se préoccupent pas du tout du contenu de ces lettres, mais lui reprochent seulement de façon véhémente d’avoir trahi « le secret ». Cela ne regardait personne et ne devait en aucun cas être révélé. Les psychanalystes vont le faire payer cher à Jeffrey Masson. Il était alors archiviste temporaire, avec un contrat à durée déterminée d’un an, assorti de la promesse qu’il serait titularisé définitivement s’il donnait satisfaction. Mais il est révoqué sine die et mis au chômage sans indemnité. Il sera obligé de faire un procès qui lui permettra d’obtenir une indemnité d’un an de salaire.
Encore plus « infamant » : pour exercer officiellement la fonction de psychanalyste, il fallait être membre reconnu par la société Internationale de Psychanalyse. Il est alors immédiatement radié, ce qui revient à lui interdire l’exercice de la psychanalyse. Cela n’empêchera pas qu’il publie la totalité de la correspondance Freud/Fliess et surtout ce livre qui révèle tous les dessous de l’affaire. Rappelons qu’il existe encore des documents secrets, que personne n’a encore jamais lus, en dépôt à Washington. Ils sont censurés jusqu’en 2060. En attendant, voici l’histoire des lettres de Sigmund Freud à Wilhelm Fliess. Ce livre peut donner envie de lire la totalité de cette correspondance, parue aux États-Unis et à Londres en 1985 et en français à Paris, seulement en 2006, soit plus de 20 ans plus tard, aux Presses Universitaires de France. Le délai de traduction française pour la version expurgée n’avait été que de quatre ans. Chacun peut enfin se faire sa propre opinion. La vérité est bien sortie du puits.
Quelles conséquences pour les psychothérapeutes ?
Comme dans toutes les sciences, le respect de la vérité et la publication exacte des travaux relèvent de la plus évidente éthique, dans l’intérêt de l’avancement des connaissances. L’objet du secret que l’on voulait préserver est de la plus haute importance, puisqu’il concerne la naissance et les bases de la psychanalyse. La controverse porte sur la façon dont le psychanalyste accueille, lors de la cure, la révélation d’un trauma. Il s’agit de prendre position sur cette révélation.
S’agit-il du récit d’un évènement réel ou bien ne serait-ce qu’une invention de l’imaginaire ? Un nombre croissant de thérapeutes d’aujourd’hui attachent beaucoup d’importance aux effets néfastes des traumatismes. Pour sa part, Anna Freud, fille et héritière spirituelle de Sigmund Freud, pensait que si ce secret avait été révélé, il n’y aurait peut-être pas eu de psychanalyse. Et vous, qui comme moi êtes thérapeutes qu’en pensez-vous ? Êtes-vous, comme Jeffrey Masson et moi-même, convaincus de l’importance des traumatismes réels ? Pensez-vous, comme Ferenczi, qu’une psychanalyse débarrassée de la théorie des pulsions soit possible ? Plus efficace ? Débarrassée de sa toxicité ? Repenser notre pratique thérapeutique sans le modèle de la théorie des pulsions demande une vigilance et un sens critique très développés, tant cette théorie misogyne et paternaliste (à l’image de la culture du tournant du siècle dernier) s’est insérée dans tous les aspects de notre vie : enseignée aux élèves de terminale en philosophie, aux médecins, aux psychologues et dans de nombreuses écoles de psychothérapie qui pourtant ne se réclament pas de la psychanalyse, elle est surreprésentée dans la culture populaire. Son influence demeure encore forte, surtout en France, tant elle a contaminé la façon dont nous comprenons la psychologie de l’enfant.
La théorie des pulsions empêche d’espérer en l’homo empathicus de Jeremy Rifkin qui sauvera peut-être la terre et l’humanité. Si, comme de plus en plus de thérapeutes, de penseurs et de journalistes, vous avez toujours été circonspects et dubitatifs face à la théorie des pulsions, mais trouviez difficile de la critiquer ou pire de mettre en doute ce qui a si longtemps été présenté comme une vérité, que seuls les faibles d’esprit ne pouvaient pas comprendre, ce livre sera pour vous comme une véritable libération. Vous ne serez plus pris au piège rhétorique de ce raisonnement circulaire pratiqué par tant d’analystes : « Si vous ne croyez pas à la pertinence de la théorie des pulsions, c’est parce que vous résistez inconsciemment à cette révélation, ce qui prouve bien la justesse de cette théorie ».
Docteur Michel Meignant
Psychothérapeute et cinéaste
Président d’honneur de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P)
Paris, 2012
... Et le mouvement #MeToo...
Par Michel Meignant
Le problème était de croire les femmes quand elles se plaignaient.
C’était très facile, une femme se plaignait, elle avait inventé, elle avait le complexe d’Œdipe. Résultat, elle était poursuivi pour déclarations mensongères et même condamnée à payer des dommages et intérêts à celui qui l’avait violée.
L’abus des femmes était général, notamment dans un milieu comme le show-business, le cinéma, le théâtre, la télévision… Pour avoir un rôle ou pour avoir une bonne place dans un grand magasin, quand le chef de rang du rayon (par exemple de la parfumerie) voulait violer, enfin avoir des relations sexuelles avec une vendeuse, il la mettait dans les courants d’air [on voit Michel rigoler], ou il faisait des remarques qui l’empêchait d’avoir une promotion. Et donc, le viol des femmes, l’abus incroyable se poursuivait.
Le 5 octobre 2017, le New York Times publiait un article de Jodi Kantor et Megan Twohey qui allait changer le monde. Enquêtant sur des allégations inquiétantes, les deux journalistes avaient, des mois durant, secrètement rencontré et persuadé des victimes de Harvey Weinstein de témoigner. Actrices, anciennes employées du producteur, célébrités ou inconnues, de nombreuses femmes qui s’étaient jusque-là tues prirent la parole dans le monde entier. Cet ouvrage est le récit haletant de l’investigation qui enflamma le mouvement #MeToo à l’échelle planétaire.
Ce qui a tout changé avec le mouvement #MeToo, ce qui est fondamental, c’est qu’on les croit.
Alors la parole s’est enfin révélée, elles ont été autorisé à parler...
Pour moi, Metoo, c’est une méthode de psychothérapie de groupe : Oser parler dans le groupe et être soutenue par d’autres personnes qui disent la même chose, ça a un effet thérapeutique réel.
Mais évidemment, cela veut dire qu’on abandonne la théorie des pulsions pour revenir à la théorie de la séduction.
Ce qui donne vraiment un aspect génial à Freud. Comment, lui, au début, avait-il pu faire cette découverte ? Il fallait vraiment qu’il soit génial. Et quel dommage qu’il ait changé d’avis.
Préface
de Jeffrey Moussaieff Masson
à la nouvelle édition française de
The Assault on Truth Enquête aux Archives Freud
Éditions L’instant présent, 2012
Pendant des années, les médecins, les psychiatres, les thérapeutes, et mêmes les législateurs, n’ont pas reconnu, pour diverses raisons, l’étendue de la maltraitance des enfants, allant de la simple fessée (dont je suis heureux de voir qu’elle est désormais illégale, même dans la sphère familiale, dans de nombreux pays) aux crimes tels que la pornographie infantile, les coups et la torture. Tout cela a changé et on trouve de moins en moins de gens qui refusent de voir l’impact et l’importance de ce sujet, particulièrement parmi ceux dont le travail est d’aider les enfants à dépasser cet héritage de violence. Il n’y a plus là matière à débat.
Malheureusement, ce n’est toujours pas le cas lorsque nous abordons cette autre forme de violence envers les enfants que sont les agressions sexuelles. Pour des raisons complexes, des thérapeutes de différentes écoles persistent encore à minimiser l’impact des abus sexuels sur le développement psychologique des enfants. Si certaines nations ont eu la volonté de reconnaître la prévalence et les séquelles des abus sexuels, ce n’est hélas pas encore véritablement le cas en France.
Un exemple illustre bien cet état de fait : feu Jean Laplanche, un psychanalyste particulièrement renommé, pensait que la « séduction » (les abus sexuels sur les enfants) était tout autre chose que ce que Freud croyait, que ce que je croyais, ou même que ce que Lacan croyait (le traumatisme est symbolique - mais symbolique de quoi ?). D’après lui, la « séduction » est avant tout un message de l’adulte vers l’enfant. Laplanche affirme que c’est un phénomène universel. Il écrit : « Il y a quelque chose d’inconscient que l’adulte le plus violent ou le plus pervers adresse à l’autre, même dans ses actes les plus brutaux. Cette adresse, ou ce message, est donc une catégorie universelle, bien plus vaste que la catégorie factuelle des agressions physiques ou sexuelles. Toutes les séductions ne sont pas des abus. » Bien que son discours soit assez obscur, ses conséquences sont alarmantes.
Laplanche poursuit, cette fois à propos de mon livre : « Masson, par exemple, se limite à la séduction factuelle. Je suis toujours amusé par le sous-titre de son livre, “Freud supprime la théorie de la séduction ”, parce qu’il montre que Masson n’a strictement rien compris à cette théorie ».
Il est juste de dire que je pense que la « séduction » est un abus sexuel, un acte réel dans un monde réel. Freud aussi l’a pensé, pendant un certain temps, avant de changer d’avis. Freud en est venu à croire que ces souvenirs n’étaient que des fantasmes, voire des souvenirs de fantasmes. Non seulement Laplanche pense que j’ai tort d’être en désaccord avec Freud, mais il pense aussi que Freud avait tort et ne comprenait pas la véritable signification de l’abus : « Freud n’a jamais imaginé qu’il pouvait exister d’autres catégories que la réalité factuelle et l’imagination… Freud était obsédé par le concept de scène réelle. »
Je suis d’accord avec lui, Freud était obsédé par la notion de réalité. C’est d’ailleurs tout à son honneur. Je pense même qu’il a continué à s’intéresser aux abus réels jusqu’à sa mort, car j’ai trouvé dans son bureau, à Londres, toute une série de lettres en rapport avec les abus sexuels sur des enfants et l’affaire Ferenczi. Personne n’a véritablement compris pourquoi Freud avait conservé ces lettres dans le tiroir de son bureau personnel pendant tant d’années. Je pense qu’il est possible que Freud ait eu mauvaise conscience d’avoir abandonné ses patientes dans le passé. Je peux me tromper.
Mais je ne pense pas que Freud aurait pu croire, comme Laplanche (et ses nombreux disciples en France) que l’abus sexuel n’est qu’un message de l’inconscient à destination de « l’autre ». En effet, cela voudrait dire qu’il n’y a pas vraiment de violence envers les enfants, mais juste des messages. Et les messages peuvent être mal interprétés. Voilà une croyance tout à fait commode pour les prédateurs sexuels et pour ceux qui s’appuient sur le déni. Mais c’est une grave erreur, une erreur que les thérapeutes devraient soigneusement éviter. Aucun thérapeute, quelle que soit l’école qui l’a formé, ne peut se permettre d’ignorer les agressions sexuelles sur les enfants, pas plus qu’il ne peut ignorer les violences physiques.
Tout d’abord, les statistiques sur les agressions sexuelles démontrent sans ambiguïté que c’est un problème majeur en Europe, même si ces informations ont tardé à être diffusées (le Canada et les États-Unis ont été un temps pionniers dans ce type de recherche). Une colossale méta-analyse a été publiée en 2011, rassemblant 217 publications parues entre 1980 et 2009, ce qui correspond à 9 911 748 participants. Les auteurs concluent que l’abus sexuel sur des enfants est « un problème global, d’une ampleur considérable ». Les chiffres varient d’une publication à l’autre bien entendu, mais peuvent monter jusqu’à 50 % des filles de moins de 18 ans ayant vécu une expérience relevant de l’abus sexuel. Inutile de nous perdre en polémiques sur la définition de l’abus sexuel.
Dans les faits, tout le monde sait exactement ce dont il s’agit. Le conseil de l’Europe, par exemple, le décrit comme « le fait de se livrer à des activités sexuelles avec un enfant : en faisant usage de la contrainte, de la force ou de menaces ; ou en abusant d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence sur l’enfant, y compris au sein de la famille » (Article 18, Conseil de l’Europe, Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle et l’abus sexuel). Le terme « enfant » correspond à toute personne de moins de 18 ans, ainsi que le définit l’Article 1 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Les activités sexuelles incriminées vont du contact forcé à la relation sexuelle, en passant par l’exposition intentionnelle de l’enfant à des activités sexuelles.
Bien que je n’aie pas trouvé de statistiques sur les agressions sexuelles d’enfants en France, les chiffres sont vraisemblablement d’une fille sur quatre, si on se base sur les études réalisées dans d’autres régions d’Europe.
Freud a sans doute été la première personne à mesurer l’étendue de l’abus sexuel dans la société. S’il s’est intéressé à ce sujet, aussi tôt dans sa carrière, c’est sûrement parce qu’il était un des tous premiers thérapeutes à permettre à ses patients de parler de ce qui leur était arrivé. Nombre d’entre eux ont parlé d’abus sexuels. Ce n’est pas surprenant si l’on considère qu’il voyait des patients désespérément malheureux (ce qu’il appelait « névrose »). Je ne pense pas que la situation serait si différente aujourd’hui : la plupart des gens qui recherchent l’aide d’un thérapeute le font parce qu’ils ont souffert de traumatismes. Il n’y a aucune raison de supposer que le pourcentage de victimes d’agressions sexuelles chez les patients des thérapeutes soit inférieur au pourcentage de victimes dans la population générale. Tout au contraire, il y a de grandes raisons de penser que ce pourcentage est nettement supérieur, ainsi que nous l’apprend une excellente série d’articles publiés par John Read et ses collègues.
Étant donné que l’abus sexuel d’enfant constitue toujours un abus de pouvoir et de confiance, il n’est pas surprenant que ses conséquences soient profondes et durables. Bien peu de thérapeutes professionnels le nieraient. Il est donc impératif que tous les thérapeutes, quelle que soit leur école, prennent conscience dans leur pratique de l’importance des abus sexuels sur les enfants.
Je suis un homme chanceux. Normalement, quand un livre passe inaperçu dans un pays, il ne bénéficie pas d’une seconde chance. Mais dans mon cas, le Dr Michel Meignant (Vice-président du Conseil Mondial de Psychothérapie et Président fondateur de la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse) a lu mon livre, et a trouvé qu’il méritait d’être à nouveau publié dans les pays francophones. Il a même réalisé un film à son sujet . Nous nous sommes trouvés un point commun : notre aversion pour les châtiments corporels sur les enfants. Fabienne Cazalis, une neuroscientifique, a lu mon livre lorsqu’elle faisait de la recherche à la University of California Los Angeles aux États-Unis. Lorsqu’elle a vu le film, elle a réalisé combien nous avions en commun et elle a entrepris de publier une nouvelle traduction de mon livre. Elle a consacré beaucoup de travail, et plus encore d’intelligence, à cette tâche, et je suis heureux d’être désormais son ami. Travailler avec elle a été un honneur.
Cela fait bientôt trente ans que ce livre est sorti. Sa thèse principale est vite résumée : j’ai voulu montrer, sur la base de nouveaux documents, et notamment de lettres inédites de Freud, que l’histoire officielle de la pensée freudienne sur la « séduction » (qui devrait être appelée « abus sexuel », un terme que Freud utilisait parfois comme synonyme de séduction), histoire consacrée par Anna Freud et d’autres analystes chevronnés, est en fait erronée. Lors de ma formation comme analyste à Toronto, on nous enseignait que Freud avait tout d’abord cru que ses patients, et notamment ses patientes, avaient été victimes d’abus sexuels dans leur enfance et que cet abus avait causé leur « névrose » ou leur « hystérie » ou même leur « psychose ». Mais, apprenions-nous, Freud s’était rendu compte qu’il avait commis une grave erreur, qu’il avait corrigée ainsi : ces abus n’étaient en fait que des fantasmes. Je trouvais pour ma part que c’était difficile à croire. Lorsque je fus certifié psychanalyste, je partis à la recherche de tous les documents possibles qui pourraient éclairer ce sujet fondamental (que personne aujourd’hui ne qualifierait de trivial). J’eus la bonne fortune de bénéficier de l’aide d’Anna Freud. Elle m’a généreusement ouvert les portes de la maison de Freud et m’a autorisé à chercher dans les armoires et les bureaux tout le matériel se rapportant à l’abus sexuel. J’y ai trouvé un véritable trésor, reproduit ici, dans ce livre.
C’est en France que j’ai trouvé les principaux indices qui m’ont mené aux conclusions que je propose. À la morgue de Paris, j’ai identifié des documents indiquant que lors de son séjour parisien en 1885, Freud a été témoin de choses qui expliquent bien sa curiosité pour les abus sexuels. Dans sa bibliothèque, il y avait des livres français consacrés à ce sujet, à une époque où personne ne s’y intéressait, nulle part dans le monde. Il y avait notamment un livre d’Ambroise Tardieu publié en 1860, Étude médico-légale sur les sévices et mauvais traitements exercés sur des enfants, un document historique d’une importance majeure, qui mérite d’être reconnu comme tel.
À Londres, j’ai trouvé une série de lettres inédites se rapportant à Sándor Ferenczi, ami intime et disciple de Freud, et à l’abus sexuel. Je suis heureux de voir que la France ouvre la voie de la réhabilitation de la pensée de Ferenczi, grâce aux travaux d’une de ses parentes, une fantastique psychanalyste française, Judith Dupont. Elle a œuvré à la publication en français de l’extraordinaire Journal Clinique de Ferenczi (Payot, 1985). Elle a également publié la correspondance Freud/Ferenczi, précieuse pour qui veut comprendre l’histoire de la psychanalyse. Je suis également ravi par le nouveau livre de Pierre Sabourin sur Ferenczi, parce qu’il comprend l’importance des convictions de Ferenczi sur les abus sexuels, et leur portée actuelle pour tous les cliniciens .
Une des plus importantes controverses que mon livre a soulevée depuis sa publication concerne la question des faux souvenirs. Est-ce qu’une personne peut être accusée à tort d’abus sexuel sur la base d’un faux souvenir ? Bien sûr, il serait absurde de prétendre que cela n’arrive jamais et que les faux souvenirs n’existent pas. Tout comme il serait absurde de prétendre que la plupart des souvenirs sont en fait de faux souvenirs. C’est toutefois ce qui s’est passé pendant des années : des hommes exerçant les professions de psychiatre, psychologue et psychanalyste (ainsi que certaines de leurs consœurs) ont affirmé qu’on ne pouvait pas se fier aux souvenirs des femmes, surtout lorsqu’elles accusaient un homme d’avoir fait des choses qu’il n’aurait pas dû faire, et plus encore si elles accusaient d’abus sexuel un homme en position de pouvoir. Inutile de dire que tout cela était bien pratique. Mais c’était faux. On a finalement admis que ces allégations étaient avant tout un moyen de protéger les prédateurs sexuels des conséquences légales de leurs actes. Une certaine résistance s’est cependant organisée, sous la forme d’un soudain intérêt, académique mais pas seulement, pour les faux souvenirs. Ces foyers de résistance accueillent bien entendu des hommes accusés d’abus sexuels, et d’autres qui craignent de l’être un jour. Même si l’on considère que l’immense majorité des accusations d’abus sexuel sont légitimes (comme c’est le cas pour les accusations de viol), il n’en demeure pas moins que, comme pour le viol, il existe en effet un petit nombre d’accusations mensongères. Ce qui est surprenant, c’est que ce sont ces quelques cas qui tendent à absorber toute l’attention médiatique, en partie parce que les sujets sensationnels sont toujours plus intéressants que les affaires de routine, mais aussi parce que c’est une façon de jeter le doute sur l’ensemble des accusations. Après avoir étudié la littérature sur ce sujet, je dirais que les chiffres des accusations mensongères sont de l’ordre de 2 à 8 % des cas.
Si vous êtes victime d’une accusation mensongère, cela peut ruiner votre vie. Mais si vous faites partie des 92-98 % de femmes qui ont légitimement accusé quelqu’un d’abus sexuel, cela aussi peut ruiner votre vie. Je n’ai évidemment rien contre la recherche sur les faux-souvenirs en soi, mais je remarque qu’elle est de bien moindre qualité que la recherche sur les abus sexuels. Il est possible qu’elle soit biaisée par un conflit d’intérêt : les hommes qui ont été accusés (à tort ou à raison) veulent se défendre en avançant des études qui montrent que ces accusations sont mensongères. Tandis que les femmes qui ont été victimes d’agression sexuelle ont tout simplement envie de disparaître. Il leur a fallu beaucoup de courage pour exposer leur histoire. Ne les poussons pas à retourner dans les ténèbres.
Jeffrey Moussaieff Masson
Auckland, Nouvelle Zélande, août 2012.
Olivier Maurel
Oui, la nature humaine est bonne !
Fessées, gifles, calottes, tapes ou bastonnades... Dans beaucoup de pays, les enquêtes les plus sérieuses montrent que plus de 80 % des enfants subissent encore des méthodes éducatives violentes.
Or, si étonnant que cela puisse paraître, aucun grand philosophe n'a tenu compte dans sa réflexion sur la nature humaine des conséquences de ce dressage violent infligé depuis des millénaires à la majorité des êtres humains au moment où leur cerveau est en formation.
Pire : dans les religions, dans les conceptions philosophiques, et aujourd'hui encore dans la psychanalyse, tout se passe comme si l'origine de la violence et de la cruauté humaines était dans la nature même des enfants. Pourtant, les recherches les plus récentes ont révélé chez lui des compétences - attachement, empathie, imitation - qui en font un être remarquablement doué pour la vie sociale.
La source de la violence et de la cruauté humaines réside-t-elle dans la nature des enfants, c'est-à-dire dans notre nature, ou dans la méthode qu'on a utilisée de tous temps pour les élever ?
C'est à cette question que répond Olivier Maurel, en s'appuyant sur les recherches d'Alice Miller et les plus récentes découvertes de la neurologie. Après la lecture de ce plaidoyer inédit, il sera difficile de continuer à appeler "éducation" le fait de frapper un enfant.
De l'enfant protégé à l'enfant corrigé
L'humanité s'est mise à corriger ses enfants en les frappant, probablement à partir du néolithique. Elle a ainsi rompu avec le comportement propre aux chasseurs-cueilleurs qui, aujourd'hui encore, partout dans le monde, ne frappent jamais les enfants.
Comment un tel changement s'est-il produit dans un domaine aussi essentiel que la relation éducative ? Pourquoi n'a-t-on jamais prêté attention à cette rupture majeure dans l'évolution de l'humanité et à ses conséquences ?
Réfléchir sur cette question éclaire fortement notre passé, notre présent et l'évolution de chacun de nous.
Olivier Maure! a écrit plusieurs livres sur la violence à l'égard des enfants : La Fessée (La Plage, 2001), Oui, la nature humaine est bonne (Robert Laffont, 2009). Poursuivant sa recherche, il montre ici que la violence sur les enfants est une question anthropologique encore non explorée.
Sophie Robert
MARIANNE « Tribune »
"Les psychanalystes ont une lourde responsabilité
dans la non-dénonciation des crimes sexuels sur mineurs"
Publié le 09/03/2021
Sophie Robert, réalisatrice et productrice, estime que la psychanalyse a contribué, par ses théories, à la protection des coupables d'inceste.
Les psychanalystes portent une lourde responsabilité dans la non-dénonciation des crimes sexuels sur mineurs. Ils contribuent à la protection idéologique et judiciaire des pédocriminels.
Ce dont ils se défendent, affirmant que Freud aurait posé l’interdit de l’inceste à la base de la construction humaine. C’est un mensonge. La théorie œdipienne dit au contraire que le « désir d’inceste » serait constitutif du développement psychique du tout petit. Les psychanalystes freudo-lacaniens adultifient le bébé à qui ils prêtent des désirs sexuels incestueux. Dans mon film Le Phallus et le Néant une dizaine de psychanalystes défendent le caractère érotique des pulsions sexuelles des tout-petits dont l’intensité « n’aurait rien à envier à celle des adultes ». Jean-Pierre Winter précise que « l’interdit de l’inceste est un interdit qui s’adresse à l’enfant, donc ce que fait le parent c’est pas le problème ».
LA FAUTE À ŒDIPE ?
Ce désir d’inceste, calqué sur une lecture mal comprise du mythe grec d’Œdipe n’a jamais existé que dans l’esprit de Freud en proie aux distorsions de réalité liées à la cocaïne. Malgré 70 ans de dénégations de la part des biologistes, les psychanalystes s’obstinent à croire que l’inceste serait courant dans le règne animal, sous prétexte qu’il est observable chez certains animaux domestiques dont la reproduction n’a plus rien de naturel.
N’en déplaise aux psychanalystes, la nature a horreur de l’inceste. C’est la culture patriarcale qui le favorise. Le règne animal proscrit l’inceste mère-fils et père-fille grâce à un arsenal de mécanismes biochimiques et comportementaux. Les études sont nombreuses à attester des ravages produits par l’inceste sur le cerveau des victimes. Pour le Dr Sandra Cussigh, spécialiste en neurobiologie du stress, « il est impossible que la nature ait favorisé des actes aussi destructeurs pour la personne ». Plusieurs chercheurs, notamment Roos & Greve (1996) ont tenté de vérifier l’hypothèse œdipienne. L’étude n’a montré aucun effet qui fasse allusion à une phase de développement œdipienne.
Au contraire, les réponses des enfants tendent même à être qualifiées de « contre-œdipiennes ».
"Le désir d’inceste permettrait à la fillette de devenir une femme hétérosexuelle !"
Bien sûr les enfants ne sont pas asexués, ils grandissent en découvrant leur corps, mais il faut des années de maturation pour produire un jeune adulte capable d’une sexualité épanouie. Selon Santé Publique France l’âge moyen du premier rapport sexuel consenti est de 17 ans, un chiffre stable depuis des décennies. Hélas lorsqu’un enfant alerte son entourage sur les violences sexuelles dont il/elle est victime, son discours est nié par l’expert psy pour être qualifié de « fantasme œdipien ».
Pire, les psychanalystes revendiquent même une asymétrie fille-garçon. En effet, un garçon est supposé se construire en échappant à l’inceste maternel, mais la fille se construirait grâce au désir d’inceste avec le père. Celui-ci devant être suffisamment fort et attractif pour lui permettre d’échapper au destin funeste de lesbienne collée à son premier objet d’amour maternel. En d’autres termes le désir d’inceste permettrait à la fillette de devenir une femme hétérosexuelle ! Une posture assumée par Jacques André dans Le Phallus et le Néant. Dans Sexualité féminine, Françoise Dolto affirme que toutes les adolescentes passent par une période où elles « fantasment d’être violées par leur père ». Dans L’enfant le juge et la psychanalyste, Dolto assène avec une violence inouïe que les enfants violés fabulent ou cherchent à piéger les adultes…
DÉNI DES PSYCHANALYSTES
Arc-boutés à leurs dogmes, les psychanalystes expriment une ignorance criminelle du stress post-traumatique chez l’enfant. Les conduites sexuelles à risques sont soulevées pour faire peser la responsabilité de l’acte sur les épaules de l’enfant violé. L’effet de sidération des victimes est moqué : « L’inceste paternel ça ne fait pas tellement de dégâts, ça rend juste les filles un peu débiles », selon Jacqueline Schaeffer.
Cette théorie criminogène est verrouillée par la posture idéologique selon laquelle la « vérité » du sujet, son inconscient, se situerait toujours à l’envers de sa conscience. Si une plainte est exprimée, elle est supposée fausse, non fiable, dans le registre du fantasme. Mais s’il n’y a pas de plainte alors le psychanalyste peut s’évertuer à débusquer un trauma enfoui. Un même psychanalyste peut nier un témoignage d’inceste au motif que « si c’était vrai vous ne seriez pas capable d’en parler » et de l’autre assumer de le fabriquer de toutes pièces chez une patiente qui n’exprime aucune plainte de cet ordre. Ainsi s’exprime la posture analytique : tordre le ressenti du client à l’envers du réel car seul son inconscient détiendrait la vérité. Une vérité toujours « ailleurs » en contradiction avec son discours.
"La parole des enfants incestués n’est jamais entendue parce que pour un psychanalyste la seule vérité qui vaille est celle qui émerge sur le divan, à l’insu de la conscience de son patient"
Les diffusions de mon film Le Phallus et le Néant ont fait émerger de nombreux témoignages d’analysantes ayant passé dix, vingt ans sur le divan avant que leur psychanalyste n’accepte d’entendre l’inceste. Leur posture spontanée est de nier un discours qui ne cadre pas avec le mythe œdipien. Certaines victimes se sont fait moquer par leur analyste ! « Grâce à votre film j’ai pu mettre des mots sur les viols que j’ai subi ! » J’ai aussi recueilli de nombreux témoignages de personnes chez qui leur analyste avait tenté par tous les moyens d’induire des faux souvenirs au forceps « vous verrez ça va revenir d’un coup comme un flash ». « Grâce à votre film j’ai compris que mon père ne m’avait jamais fait de mal… »
L’inconscient freudien procéderait d’une « co-création » psychique entre l’analyste et l’analysant, une expression qui théorise et légitimise la manipulation mentale. La parole des enfants incestués n’est jamais entendue parce que pour un psychanalyste la seule vérité qui vaille est celle qui émerge sur le divan, à l’insu de la conscience de son patient. Dès lors, si une victime parle spontanément, c’est qu’elle ne dit pas la vérité.
FREUD DÉPASSÉ ?
Pour boucler la boucle, les psychanalystes ont produit un arsenal théorique maternophobe qui décrédibilise la parole des mères protectrices des enfants incestués pour la retourner en son contraire : elles manipuleraient leur enfant, projetant leurs propres fantasmes incestueux sur le mari. Les théories de l’envie du pénis, la forclusion du nom du père, la mère crocodile, ou le complexe de Médée, reposent sur l’idée d’une nature féminine intrinsèquement toxique acharnée à détruire l’homme, le mâle, le père, dans ses réalisations sociales, son autorité, et le séparer de ses enfants en l’accusant d’inceste.
Devant les tribunaux ces postures font des ravages. Experts et avocats de la défense utilisent les théories analytiques pour nier le discours des enfants violés, affirmer que ses accusations seraient l’expression de fantasmes œdipiens et de désirs maternels haineux et vindicatifs projetés sur les hommes.
L’influence de la psychanalyse sur les tribunaux est aujourd’hui dénoncée par 1 200 psychologues, psychiatres et professionnels de santé. Tous les psychanalystes n’adhèrent pas à cette idéologie, mais ceux qui s’écartent du dogme sont très minoritaires. La plupart font une lecture fondamentaliste du complexe d’Œdipe. Depuis dix ans que je travaille sur ce sujet, je n’ai entendu, ni lu aucun psychanalyste remettre en cause la théorie sexuelle. Tout au plus certains reprochent-ils à mes interviewés d’avoir exprimé trop crument un discours inaudible pour des oreilles profanes.
"À ce jour aucun gouvernement n’a eu le courage d’affronter cette idéologie criminelle et sectaire"
Les psychanalystes freudo-lacaniens n’ont jamais produit la moindre étude validant leur démarche. À la place ils brandissent des études sur la psychanalyse anglaise, sauf que celle-ci n’a rien à voir. Dès les années 50 les Anglais ont abandonné la théorie sexuelle quant à la maternophobie viscérale du courant lacanien elle ne les a jamais effleurés. Ils n’ont gardé de la psychanalyse que le nom et le principe de la cure par la parole. La psychanalyse anglaise est une psychothérapie brève basée sur l’échange avec le patient et la réponse à ses besoins. Elle soutient sa parole consciente au lieu de la tordre en son contraire. Dans les années quatre-vingt-dix, un psychanalyste anglais avait dit à la jeune étudiante que j’étais : « Freud est dépassé aujourd’hui. La théorie sexuelle il faut la prendre avec pincettes, cela peut être dangereux. »
La parole des victimes d’inceste ne sera pas entendue tant que les tribunaux français resteront imprégnés de cette idéologie criminogène, et tant que l’État persistera à financer l’enseignement de la psychanalyse à l’université sous couvert d’enseignement de la psychologie et de la psychiatrie.
A ce jour aucun gouvernement n’a eu le courage d’affronter cette idéologie criminelle et sectaire.
Bruno Clavier
ILS NE SAVAIENT PAS...
Pourquoi la psy a négligé les violences sexuelles
Aux éditions PAYOT - 2022
Malgré l'urgence, une majorité de psys
ne sont pas préparés pour aider les victimes
de violences sexuelles !
Des millions de personnes. L'ampleur colossale des violences sexuelles est enfin reconnue par notre société. Et maintenant ? Bruno Clavier en est convaincu, le problème ce sont les psys, en première ligne pour aider les victimes. Bien qu'il existe aujourd'hui des structures spécialisées, des associations et des numéros verts, depuis plus d'un siècle les psychiatres, les psychanalystes et les psychologues n'ont, dans leur grande majorité, pas été formés à la prise en compte de la réalité des violences sexuelles. En cause, non seulement le déni de notre société, mais aussi une théorie qui a nié cette réalité. Son auteur, Freud, avait une raison secrète à cela. Ce secret et l'incroyable faille thérapeutique qui a conduit des générations de psys dans une impasse empêchant la plupart d'aider Les victimes comme ils le voudraient, sont au coeur de ce livre. Pour que plus jamais l'on n'entende ces mots : « Cela ne se peut pas », « Je ne savais pas ».
Psychanalyste et psychologue clinicien, lui-même victime de violences sexuelles dans son enfance, Bruno Clavier est le principal représentant de La psychanalyse transgénérationnelle. Il est l'auteur des Fantômes familiaux, qui s'est immédiatement imposé comme une référence incontournable.
THE ORIGINS OF PSYCHOANALYSIS LETTERS TO WILHELM FLIESS,
DRAFT AND NOTES : 1887/1902
Sigmund Freud
Imago Publishing, London en 1950
LA NAISSANCE DE LA PSYCHANALYSE
Sigmund Freud
PUF, 1956
lettres à wilhelm fliess
Sigmund Freud
PUF, 1985
Assault on Truth
Freud's Suppression
of the Seduction Theory
Jeffrey-Moussaief Masson
1985
Le Réel escamoté
Le renoncement de Freud
à la théorie de la séduction
Jeffrey-Moussaief Masson
Aubier, 1984
LES LETTRES À WILHELM FLIESS 1887/1904
Sigmund Freud
PUF, 2006
En Français
l'affaire Freud
Un siècle de dissimulation de l'abandon de la théorie de la séduction pour la théorie des pulsions
Interview de Jeffrey Moussaieff Masson
Un film document de Michel Meignant
Montage, Mario Viana
Asclépia - 2011
Enquête aux archives freud
Des abus réels
aux pseudo-fantasmes
Jeffrey Masson
Préface du Dr Michel Meignant
éditions l'Instant Présent, 2012
SHE SAID
L'enquête qui a révélé l'affaire Weinstein et fait exploser le mouvement #MeToo
Jodi Kantor & Megan Twohey
éditions Alisio
Michel Meignant
+33 (0)6 07 76 07 64
michelmeignantcabinet@gmail.com
17 ter rue du Val - 92190 MEUDON